Un tournant historique pour le marché du pneu en France
Pour la première fois dans l’histoire du pneu en France, sur un marché historiquement positionné sur le haut de gamme, les pneumatiques premium ne représentent plus que la moitié des achats. Parallèlement, la part des pneus « budget » avoisine désormais les 20 %.
1 automobiliste sur 5 place le prix au premier rang de ses critères de choix. Ce n’était qu’ un automobiliste sur 10, il y a seulement 7 ans.
Les données du marché 2024 confirment les propos du Directeur Général de Michelin, Florent Menegaux. Auditionné par les députés et sénateurs, il a vivement dénoncé le coût du travail et les charges fiscales qui pèsent sur la compétitivité de l’industrie française, au profit de concurrents implantés dans des pays à moindres coûts, notamment en Europe de l’Est et en Asie.
Les multiples causes de l’essor du low cost
Plusieurs facteurs expliquent la montée en puissance des pneus low cost : la pression économique sur les ménages, l’explosion des prix liée à l’augmentation du coût des matières premières essentielles – comme le caoutchouc d’origine pétrochimique et le noir de carbone –, conséquence directe de la guerre en Ukraine et de la rupture des relations commerciales avec la Russie.
À cela s’ajoute un élément souvent négligé : la transformation du parc automobile. Les SUV, devenus très populaires, sont équipés de pneus plus grands et plus lourds, donc sensiblement plus chers. Pourtant, ce surcoût n’est que rarement communiqué aux acheteurs au moment de l’acquisition de leur véhicule.
Une sophistication qui a un coût
Les grands manufacturiers ont réalisé d’énormes avancées technologiques en matière de sécurité et d’écoresponsabilité. Ces innovations sont nécessaires pour répondre aux contraintes réglementaires toujours plus strictes et plus nombreuses qui leur sont imposées par les administrations européennes et françaises.
Paradoxe : plus les pneus sont sophistiqués, plus leur prix augmente. Or, plus les pneus sont chers, moins ils sont accessibles au commun des automobilistes dont le souci est de s’équiper au meilleur prix.
Quand acheter un pneu devient un casse-tête éthique
L’achat d’un pneu demeurait jusqu’à très récemment un judicieux arbitrage dans le cadre d’un budget limité (et peu fluctuant) entre sécurité des passagers, longévité du pneu et stricte conformité avec le Code de la route. Il a toujours existé une relation très directe entre la sécurité et le prix des pneus, comme le montrent très clairement les essais comparatifs réalisés récemment par le Touring Club de Suisse, qui mettent en évidence la dangerosité de certains pneus à très bas coût.
Mais depuis peu, l’automobiliste est sommé de faire entrer dans l’équation les problèmes de déforestation au Cambodge ou en Indonésie, les conséquences à 20 ou 30 ans du changement climatique, les potentielles pénuries d’eau douce dans certaines régions de France, voire l’innocuité pour la faune des particules de son pneu lorsqu’il roule. N’est-ce pas un peu trop lui demander ?
L’automobiliste n’est pas seul à être impliqué. Les transporteurs routiers, grands useurs de pneus poids lourds, délaissent le rechapage – pourtant parfaitement maîtrisé technologiquement – au profit de pneus low cost jetables. Ce choix est écologiquement aberrant, économiquement déraisonnable à long terme, mais payant à court terme. Le rechapage permettrait de créer de l’emploi local, tout en réduisant de 70 % l’utilisation de matières premières et leur transport. Pourtant, sa part a été divisée par deux en dix ans.
Dans un contexte où l’on clame l’importance de l’écoresponsabilité, cette évolution est un non-sens. D’autant plus que certains fabricants de pneus low cost garantissent désormais la rechapabilité de leurs produits.
Fuite industrielle : quand la France regarde partir ses usines
Les industriels ont massivement quitté la France pour s’implanter à proximité des usines automobiles, désormais basées en Espagne, en Italie, en Europe de l’Est, en Afrique du Nord ou en Chine. Ils y trouvent des unités plus modernes, des coûts salariaux réduits et des avantages fiscaux plus attractifs.
Les fermetures successives d’usines chez Bridgestone, Continental, Goodyear et Michelin n’ont manifestement pas servi de leçon. Malgré les protestations de façade, les représentants politiques retournent bien vite à leurs bureaux pour élaborer de nouvelles normes et réglementations, dont le principal effet est d’alourdir les charges, d’augmenter les prix et d’affaiblir encore un peu plus notre compétitivité.
Avant qu’il ne soit trop tard, et que l’industrie du pneumatique ne quitte définitivement le territoire, le gouvernement doit agir en urgence pour enrayer cette spirale infernale. Il en va de notre souveraineté industrielle, de nos emplois et de l’avenir de toute une filière stratégique.

Dominique Stempfel
Président du Syndicat du pneu